Un disque coup de gueule
Le 19 mai prochain, le pianiste Andy Emler sortira un nouveau disque intitulé Running Backwards. On y retrouvera ses complices de trio, Éric Échampard à la batterie et Claude Tchamitchian à la contrebasse, auxquels s'ajoutera un vieux compagnon de route : le guitariste Marc Ducret. Un concert de sortie est également programmé le 2 mai au Studio de l'Ermitage. A quelques jours de cet événement, Andy nous dévoile quelques unes des facettes de ce projet coup de gueule... et en profite pour en pousser quelques uns.
Ca
c’est du jazz. Comment a
commencé le projet Running backwards ?
Andy Emler. C’est une suite
que j’ai écrite au premier semestre 2016 en réaction à
l'actualité du moment. Entre racisme, sexisme et corruption, j'avais une fois de
plus le sentiment que l’humanité était en train de
régresser...
CCDJ. Comment cette idée plutôt
abstraite se traduit-elle dans la composition ?
AE. La musique a un côté
agressif. Ce sont des sonorités qui ne sont vraiment pas apaisantes.
CCDJ. Peux-tu
décrire Running Backwards ?
AE. C’est un mélange
d’improvisation et d’écriture, et il y a clairement une
influence jazz. Mais c’est surtout très binaire, rock, voire
électro dans le sens agressif du terme. La guitare électrique de
Marc Ducret y est pour beaucoup. Je suis fan de ce qu'il fait depuis
longtemps, et j’ai tenté de m'en rapprocher pour sortir de
l’univers du trio avec Éric et Claude. Cette musique est la concordance de quatre personnes
qui se connaissent depuis longtemps. Elle nous a emmenés vers un son
qu’on essaie de maîtriser, mais il nous a fallu du temps pour la monter. On
l'a jouée en public pour la première fois il y a un an, à
la Maison de la radio. Pour tout t’avouer, j’ai trouvé cette
version plutôt moyenne. Mais là, on a progressé.
CCDJ. Combien de temps faut-il pour
bâtir un tel disque ?
AE. J’écris assez vite, mais
je mûris longtemps mes projets. Je me balade toujours avec un
Moleskine, ça me permet de noter les idées musicales qui me passent par la tête. En
général, j'ai besoin d'environ six mois de maturation, puis
l’écriture et l’arrangement vont assez vite. Disons que pour
Running Backwards, il a fallu une année entière pour arriver à l'étape du déchiffrage. Après, on a
eu deux autres répètes, la date à la Maison de la radio, le Triton deux soirs, trois dates dans le Sud… Ca
nous a permis de faire des progrès pour arriver à l’enregistrement.
CCDJ. Tu as parlé tout à l'heure
d'une « influence jazz ». Running Backwards, ce
n’est donc pas vraiment du jazz ?
AE. Je ne mettrais pas le mot
« jazz » dessus. On nous classe dans le jazz parce qu’on
sait jouer du jazz. Mais le jazz, c’est un style de musique avec un
répertoire bien identifié, qui a donné naissance à un
foisonnement énorme au XXe siècle. Nous, on découle de ce
foisonnement. On l’a digéré, je dis cela sans prétention aucune.
Mais si tu écoutes vraiment cette musique, ce n’est pas du jazz.
CCDJ. Écrire pour des gens avec qui
on joue depuis des dizaines d’années, c’est facile ou c’est
difficile ?
AE. C’est vrai qu’on est
tellement complices qu’on pourrait presque improviser sur trois
notes que j'aurais écrites. D’ailleurs, j’aimerais qu’on
parvienne à se détacher un peu des partitions. Mais cela nécessiterait
de jouer beaucoup. A notre époque, les choses ne se passent pas
comme il y a cinquante ans. On a des concerts isolés, parfois une
tournée de trois ou quatre dates. Le problème, c’est que les gens
qui jouent nos musiques ne sont pas considérés comme des gens
sérieux. Le jazz est un des parents pauvres en matière de subventionnement de la musique en France.
La couverture de Running Backwards |
CCDJ. Voilà qui explique pourquoi
vous utilisez la scène comme salle de répète...
AZ. Absolument. Les
musiciens avec lesquels je travaille ont un
planning très chargé, ils n’ont pas le temps. Les répètes
doivent avant tout leur servir à comprendre ce qui va se passer, car elles coûtent
cher. Quand tu travailles six heures en répète, tu paies les
musiciens six heures. Mais pour ces six heures, chacun a bossé six
heures auparavant chez lui. Bien sûr, si on pouvait se
permettre ce luxe, je prendrais trois jours pour faire tourner les
rythmiques non-stop, de manière à être sûr d’atteindre sur scène cette
magie, cette transe que nous recherchons.
CCDJ. Est-ce que ces contraintes influent sur la composition ?
CCDJ. Est-ce que ces contraintes influent sur la composition ?
AE. Tu es obligé de faire des
concessions là-dessus, d’écrire en sachant que tu n’auras pas le
temps de faire beaucoup de répètes. Mais on arrive quand même à
un résultat dont je suis content, parce que je travaille avec des
gens qui ont un métier énormissime, qui ont compris où je veux
aller, et avec qui j’ai une vraie complicité.
CCDJ. D’un strict point de vue
commercial, est-ce que tu ne ferais pas mieux d'écrire des morceaux de trois minutes plutôt que des suites d'une heure comme Running Backwards ?
AE. On ne peut pas aller contre
sa nature. Les suites, c’est quelque chose qui me vient des groupes pop-rock des années
1970 : les Who, Yes, ELP, Led Zeppelin, etc Un jour, pour un concert au
Triton, je voulais écrire juste deux morceaux pour le MegaOctet. Je
me suis retrouvé à écrire une nouvelle suite. Il doit y avoir une
case dans mon cerveau où se niche l’envie d’aller plus loin.
CCDJ. Pourquoi ne fais-tu pas la
tournée des festivals avec ce projet cet été ?
AE. On a des choses qui vont
arriver : le concert le 2 mai à l’Ermitage
pour la sortie du disque, d’autres rendez-vous en octobre et
novembre... Le problème, c’est que les grands festivals ne veulent
pas de nous parce qu’on n’est pas commerciaux, on n’est pas
dans une logique de rentabilité. Vienne ou Marciac, on les relance
tous les ans, on les connaît. Mais ils pensent qu’on n’est pas pour
leur public. Bon, il faut reconnaître qu’on n'est que des petits
Français. En plus, quand tu as passé la cinquantaine, tu es
rapidement considéré comme un has been. Mais je me demande
quand même bien comment ils font pour décider quels goûts a leur
public…
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Andy Emler - Running Backwards
Andy Emler : piano, composition
Éric Échampard : batterie
Claude Tchamitchian : contrebasse
Marc Ducret : guitare
Sortie le 19 mai
Concert de sortie le 2 mai au Studio de l'Ermitage à Paris
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