mercredi 26 avril 2017

Interview : Andy Emler - Running backwards

Un disque coup de gueule



Le 19 mai prochain, le pianiste Andy Emler sortira un nouveau disque intitulé Running Backwards. On y retrouvera ses complices de trio, Éric Échampard à la batterie et Claude Tchamitchian à la contrebasse, auxquels s'ajoutera un vieux compagnon de route : le guitariste Marc Ducret. Un concert de sortie est également programmé le 2 mai au Studio de l'Ermitage. A quelques jours de cet événement, Andy nous dévoile quelques unes des facettes de ce projet coup de gueule... et en profite pour en pousser quelques uns.


Ca c’est du jazz. Comment a commencé le projet Running backwards ?

Andy Emler. C’est une suite que j’ai écrite au premier semestre 2016 en réaction à l'actualité du moment. Entre racisme, sexisme et corruption, j'avais une fois de plus le sentiment que l’humanité était en train de régresser...

CCDJ. Comment cette idée plutôt abstraite se traduit-elle dans la composition ?

AE. La musique a un côté agressif. Ce sont des sonorités qui ne sont vraiment pas apaisantes.

CCDJ. Peux-tu décrire Running Backwards ?

AE. C’est un mélange d’improvisation et d’écriture, et il y a clairement une influence jazz. Mais c’est surtout très binaire, rock, voire électro dans le sens agressif du terme. La guitare électrique de Marc Ducret y est pour beaucoup. Je suis fan de ce qu'il fait depuis longtemps, et j’ai tenté de m'en rapprocher pour sortir de l’univers du trio avec Éric et Claude. Cette musique est la concordance de quatre personnes qui se connaissent depuis longtemps. Elle nous a emmenés vers un son qu’on essaie de maîtriser, mais il nous a fallu du temps pour la monter. On l'a jouée en public pour la première fois il y a un an, à la Maison de la radio. Pour tout t’avouer, j’ai trouvé cette version plutôt moyenne. Mais là, on a progressé.

CCDJ. Combien de temps faut-il pour bâtir un tel disque ?

AE. J’écris assez vite, mais je mûris longtemps mes projets. Je me balade toujours avec un Moleskine, ça me permet de noter les idées musicales qui me passent par la tête. En général, j'ai besoin d'environ six mois de maturation, puis l’écriture et l’arrangement vont assez vite. Disons que pour Running Backwards, il a fallu une année entière pour arriver à l'étape du déchiffrage. Après, on a eu deux autres répètes, la date à la Maison de la radio, le Triton deux soirs, trois dates dans le Sud… Ca nous a permis de faire des progrès pour arriver à l’enregistrement.

Éric Échampard, Andy Emler, Claude Tchamitchian et Marc Ducret (photo : Christophe Charpenel)
CCDJ. Tu as parlé tout à l'heure d'une « influence jazz ». Running Backwards, ce n’est donc pas vraiment du jazz ?

AE. Je ne mettrais pas le mot « jazz » dessus. On nous classe dans le jazz parce qu’on sait jouer du jazz. Mais le jazz, c’est un style de musique avec un répertoire bien identifié, qui a donné naissance à un foisonnement énorme au XXe siècle. Nous, on découle de ce foisonnement. On l’a digéré, je dis cela sans prétention aucune. Mais si tu écoutes vraiment cette musique, ce n’est pas du jazz.

CCDJ. Écrire pour des gens avec qui on joue depuis des dizaines d’années, c’est facile ou c’est difficile ?

AE. C’est vrai qu’on est tellement complices qu’on pourrait presque improviser sur trois notes que j'aurais écrites. D’ailleurs, j’aimerais qu’on parvienne à se détacher un peu des partitions. Mais cela nécessiterait de jouer beaucoup. A notre époque, les choses ne se passent pas comme il y a cinquante ans. On a des concerts isolés, parfois une tournée de trois ou quatre dates. Le problème, c’est que les gens qui jouent nos musiques ne sont pas considérés comme des gens sérieux. Le jazz est un des parents pauvres en matière de subventionnement de la musique en France.

CCDJ. Du coup, quel est le modèle économique d’un projet comme Running Backwards ?

AE. J’ai une asso, la « Compagnie aime l’air ». Avec Thierry Virolle, son administrateur, on bosse beaucoup pour aller chercher les subventions, notamment auprès de la Direction régionale des affaires culturelles d'Île-de-France. Ces subventions permettent à mes projets d'être aidés, on peut payer des répètes, des musiciens, un administrateur à plein temps dont le boulot est de faire en sorte que j’aie du temps pour faire de la musique… Cela me donne une certaine souplesse, et je considère ça comme le minimum vital. Malgré tout, on a été obligés d’enregistrer Running Backwards en un jour !

La couverture de Running Backwards


CCDJ. Voilà qui explique pourquoi vous utilisez la scène comme salle de répète...

AZ. Absolument. Les musiciens avec lesquels je travaille ont un planning très chargé, ils n’ont pas le temps. Les répètes doivent avant tout leur servir à comprendre ce qui va se passer, car elles coûtent cher. Quand tu travailles six heures en répète, tu paies les musiciens six heures. Mais pour ces six heures, chacun a bossé six heures auparavant chez lui. Bien sûr, si on pouvait se permettre ce luxe, je prendrais trois jours pour faire tourner les rythmiques non-stop, de manière à être sûr d’atteindre sur scène cette magie, cette transe que nous recherchons. 

CCDJ. Est-ce que ces contraintes influent sur la composition ?

AE. Tu es obligé de faire des concessions là-dessus, d’écrire en sachant que tu n’auras pas le temps de faire beaucoup de répètes. Mais on arrive quand même à un résultat dont je suis content, parce que je travaille avec des gens qui ont un métier énormissime, qui ont compris où je veux aller, et avec qui j’ai une vraie complicité.

CCDJ. D’un strict point de vue commercial, est-ce que tu ne ferais pas mieux d'écrire des morceaux de trois minutes plutôt que des suites d'une heure comme Running Backwards ?

AE. On ne peut pas aller contre sa nature. Les suites, c’est quelque chose qui me vient des groupes pop-rock des années 1970 : les Who, Yes, ELP, Led Zeppelin, etc Un jour, pour un concert au Triton, je voulais écrire juste deux morceaux pour le MegaOctet. Je me suis retrouvé à écrire une nouvelle suite. Il doit y avoir une case dans mon cerveau où se niche l’envie d’aller plus loin.

CCDJ. Pourquoi ne fais-tu pas la tournée des festivals avec ce projet cet été ?

AE. On a des choses qui vont arriver : le concert le 2 mai à l’Ermitage pour la sortie du disque, d’autres rendez-vous en octobre et novembre... Le problème, c’est que les grands festivals ne veulent pas de nous parce qu’on n’est pas commerciaux, on n’est pas dans une logique de rentabilité. Vienne ou Marciac, on les relance tous les ans, on les connaît. Mais ils pensent qu’on n’est pas pour leur public. Bon, il faut reconnaître qu’on n'est que des petits Français. En plus, quand tu as passé la cinquantaine, tu es rapidement considéré comme un has been. Mais je me demande quand même bien comment ils font pour décider quels goûts a leur public… 

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Andy Emler - Running Backwards
Andy Emler : piano, composition
Éric Échampard : batterie
Claude Tchamitchian : contrebasse
Marc Ducret : guitare

Sortie le 19 mai
Concert de sortie le 2 mai au Studio de l'Ermitage à Paris

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